Chevrillard de là-haut
Le temps ne se maintiendra guère nous dit la météo et je prends le parti de profiter de cette journée qui s'annonce belle. Je ne me lève pas vraiment « aux aurores » mais plus tôt, car il fait encore nuit quand je gare mon véhicule au Petit Calvaire.
Je descends au fond du vallon pour remonter sur la rive sud (côté Pré Bracot) du torrent. Les bottes sont de rigueur et je pousse presque jusqu'à la boucle du chemin. Je m'extirpe alors d'une végétation assez dense pour repartir, vers l'aval, côté nord cette fois. Des prés, des clôtures à franchir, c'est quand même plus facile, malgré un genou un peu rétif et une récente fracture du petit orteil gauche.
Je finis par me retrouver sur le chemin Cornélius. La fin de la boucle se rapproche et je n'ai pas encore vu quoique ce soit. En contre bas une tache grise dans un pré. J'hésite à donner un coup de jumelles car dans mon esprit (attardé pour la circonstance), les chevreuils sont encore en robe rousse. Grossière erreur car c'est un chevreuil que je découvre et que j'identifie comme une chevrette.Je progresse encore une quinzaine de mètres sur le chemin, prudemment car le petit cervidé regarde fréquemment de mon côté. Je me poste derrière un arbre, mais pas question de descendre un peu car il me faudrait jouer les acrobates pour franchir la clôture.Il va se passer de longues minutes avant que l'animal ne se rapproche de la lisière du bois. Dans une trouée du feuillage j'entrevois furtivement un deuxième chevreuil mais n'ai pas eu le temps de le juger.
Je déborde pas d'allégresse à l'idée de tirer ; il y a des jours comme cela. Mais au moment où, après toute cette attente, les circonstances apparaissent enfin favorables, ma carabine a parlé (je pense que je l'ai aidée un peu). Le chevreuil s'effondre, va s'agiter, relever la tête à deux ou trois reprises. Tout cela est bien long et me mets mal à l'aise. Je me sens mieux quand tout est fini.
Au coup de feu le deuxième chevreuil a ébauché une fuite : c'est une chevrette ! Et puis voilà un troisième animal. Je réalise que j'ai semé tristesse et désarroi dans cette famille. Si la chevrette,interrogative, regarde fixement dans ma direction, l'autre chevrillard rentre dans le sous bois et décrit un arc de cercle hésitant pour aller se rendre comte de ce qu'il est advenu de son frère ou sa sœur. Ce faisant il se rapproche de moi.Toute cette scène n'est guère réjouissante. On peut être chasseur et avoir des sentiments, n'est-ce pas Bertrand ?
Je me décide à bouger, ce qui met un terme à cette scène, avec la fuite des deux survivants qui s'arrêteront encore pour un dernier regard en arrière.
Je me rends auprès du chevrillard pour constater, sans surprise, la piètre qualité du tir (balle de panse).
Je regagne alors mon véhicule, bien chargé même si la bête ne paraît pas très lourde. Direction la Ferme du Surcenord et sa chambre froide. Déconvenue, elle est hors d'usage ! Elle devrait être réparée mais on ne sait quand...
Pour autant je ne regrette pas cette journée, qui malgré quelques instant pénibles, prendra sa place et toute sa place dans ma galerie des souvenirs.
Gilbert